1. Un Kalan du Binh Dinh : Thu Thiên
2. A propos de deux sculptures chames du Musée Guimet
3. Deux sculptures récemment retrouvées au Binh Dinh Tran thi
4. Un tympan inédit au Musée de Qui Nho'n
1. Un Kalan du Binh Dinh : Thu Thiên
Marie-Christine DUFLOS1
La province du Binh Dinh est constituée d'une succession de plaines compartimentées par les ramifications de monts dont l'altitude ne dépasse pas 1 500 m ; elle est d'une superficie de 1750 km2 (voir carte ci-dessous)
Aujourd'hui, seulement sept sites demeurent debout dans cette province. Les inscriptions retrouvées au Binh Dinh, toutes postérieures aux monuments, ne permettent pas de les dater. En fait, aucune inscription ne peut être mise en relation avec ces monuments. De plus, l'art cham est un art religieux et anonyme, c'est pourquoi il a fallu se livrer à une étude stylistique, comme il est courant de le faire pour les arts du monde indien, afin de dégager une chronologie relative. Le kalan de Thu Thiên appartient au style dit « du Binh Dinh » (Philippe Stern) ou « de Thap Mâm » pour la sculpture (Jean Boisselier), placé entre le Xle et le XIlIe siècle (cf fiche de la Lettre de la SACHA n° 1 : 13).
La tour de Thu Thiên, qui tire son nom du village voisin, est située à environ 30 km au nord-ouest de Qui Nho'n (Parmentier, Inventaire...,1 :179-184 ; 2, index : 643). Elle se situe au milieu d'une vaste plaine, aujourd'hui cultivée, au sud du Sông Côn, dans l'alignement du groupe de Du'o'ng Long, situé à 3 km à vol d'oiseau, de l'autre côté du fleuve. Le sanctuaire dont l'entrée fait face à l'Est, est d'une hauteur actuelle de 24 m (voir photographie). Construit en briques, il possède également une partie de sa décoration sculptée en pierre. S'il ne reste rien du décor du soubassement, par contre le corps de l'édifice est animé de cinq pilastres nus par face, ceux des angles étant légèrement plus larges et plus saillants, et d'entrepilastres offrant un cadre de moulures. Bien que les fausses-portes (nord, ouest et sud) soient très endommagées, on distingue une division en trois niveaux horizontaux. Le premier niveau en partant du bas, totalement ruiné, devait comporter deux pilastres encadrant la porte puis une corniche soutenant un fronton qui lui-même encadrait un tympan ou une fausse-niche sur fond de mur comme on le voit dans les deux niveaux suivants. Le second niveau présente une fausse-niche à trois corps et trois frontons encastrés en forme de « fer de lance ». Au troisième niveau, la fausse-niche comporte une série de décrochements figurant quatre corps et quatre frontons. Le décor de tous les frontons de la tour est resté à l'état d'épannelage. Sous la toiture, la corniche est organisée selon le jeu habituel de listels et de doucines. On y voit les redans correspondant à la terminaison des pilastres et des entrepilastres.
De la superstructure qui devait comporter deux faux-étages, il ne reste que le premier, les parties hautes étant envahies par la végétation. Cet étage est conçu comme une réplique réduite du corps de la tour-sanctuaire avec son piédestal (soubassement supérieur) : murs rythmés des mêmes pilastres et entrepilastres et fausse-niche médiane imitant une fausse-porte. Cette fausse- niche médiane se compose de trois corps ayant chacun deux entrepilastres prolongés d'une corniche surmontée d'un fronton. Le fronton du corps antérieur encadrait autrefois un tympan de pierre également en forme de « fer de lance », sculpté d'un personnage assis (voir partie 4). Aux angles de la toiture étaient placées, en amortissement, des réductions d'édifice en relativement bon état pour celles qui sont encore conservées. Elles se composent d'une superposition de multiples étages réduits à leur corniche. Ceux-ci s'inscrivent dans une forme en « obus » que viennent alléger de nombreuses petites pièces d'accent sur les arêtes. Au centre de chacun des côtés et à chaque registre, une applique à deux pans imite de façon schématique une fausse porte ou une fausse-niche, c'est-à-dire un sanctuaire.
Le kalan de Thu Thiên, angle nord-ouest (cliché Isabelle Riblet).
Il ne reste pratiquement rien de la porte Est bien que ses vestiges laissent deviner des dimensions plus imposantes que celles des fausses-portes. La cella est couverte par une voûte en encorbellement. Sur le mur Ouest s'appuyait, avant qu'il ne soit volé il y a quelques années, le dossier de trône sculpté d'une divinité (voir illustration). Pour H. Parmentier, il s'agissait d'un « retable » entourant une niche ogivale allongée et peu profonde. Ce dosseret comportait un linteau ou une traverse de pierre dont les extrémités s'achevaient par un makara crachant un petit guerrier. Ces makara ont une trompe courte et des oreilles encore proches de celles d'un éléphante. Les commissures de leurs lèvres sont arrondies comme dans le style de Chành Lô sans présenter la stylisation caractéristique du style de Thap Mâm. Ce n'est que la crosse recourbée surmontant la trompe qui évoquerait le style de Thap Mâm. Au dessus de ce pseudo-linteau reposait, de part et d'autre de l'ogive de la « niche », une petite divinité assise à l'européenne (?) portant un vêtement dont le pan antérieur, triangulaire, ne se rabat pas encore par dessus la ceinture comme ce sera le cas à Thap Mâm. L'ogive formée par le dosseret était incrustée de dix petites figures orantes en pierre, probablement des kinnara, jaillissant du fond à mi-corps. Leurs coiffures étaient soit le chignon hémisphérique soit le kirita-mukuta du style de Thap Mâm. Elles ont à présent disparu. Seuls demeurent leurs trous d'encastrement.
Un piédestal circulaire fut autrefois trouvé à l'intérieur de la cella. Était-il destiné à un linga ou à quelque autre divinité hindoue (sachant qu'un piédestal circulaire est généralement destiné à Brahmâ) ?
Le dosseret de Thu Thiên (d'après Henri Parmentier).
Certains historiens d'art considèrent toutefois cet édifice comme bouddhique en raison de la découverte dans son voisinage immédiat de « statues bouddhiques » dont certainement un Buddha3, en raison aussi de la composition du retable qui évoquerait ce que l'on trouve à Dông Du'o'ng. Pourtant certains détails nous font plutôt penser à une destination brahmanique. En effet, à 500 m à l'est de la tour, près d'une pagode vietnamienne déjà en ruine au début du siècle, ont été retrouvés deux linga remployés en porte-hampe et un piédestal octogonal. Ce piédestal à mortaise rectangulaire est orné d'une bague portant le « motif en sein de femme » et de quatre lions atlantes malheureusement brisés (Parmentier, Inventaire..., 2 : 396-397 et 580-581 et pl. CXXI-F et CXXXIIIA, B). Un des deux linga est sculpté à sa base du « motif de Thap Mâm », l' autre, au même endroit, porte un autre motif de pétales de lotus stylisés qui existe également dans le style dit « de Thap Mâm ». Enfin plusieurs statues provenant de la tour sont manifestement hindoues : deux ascètes çivaïtes conservés au Musée Guimet, un troisième ascète, un Ganeça et un Indra jadis conservés au Musée royal d'ethnographie de Berlin (voir article suivant). En raison des caractéristiques stylistiques énoncées à propos du dossier de trône de Thu Thiên, Jean Boisselier situait ce kalan, dans le temps, entre le style de Chan Lô et celui de Thap Mâm, le faisant appartenir à un art de transition. Le changement de la position chronologique de la tour de Thu Thiên, par rapport à la chronologie de P. Stern, entraîne celui des tours de Cânh Tiên (« Tour de Cuivre ») et de Thôc Lôc (« Tour d'Or ») avec lesquelles elle forme un groupe stylistiquement homogène. La maturité du style de Thap Mâm a lieu d'après J. Boisselier vers le milieu du XIle siècle. Il y place le site de Thap Mâm qui est de plan khmer et les trois tours de Du'o'ng Long (« Tours d'Ivoire »), les plus khmères par le plan. Il hausse donc la date proposée par P. Stern pour l'apport khmer le plus massif de près d'un demi siècle, jusqu'au milieu du XIIe siècle approximativement, vieillissant d'autant tous les monuments du style du Binh Dinh.
1 Conférencière des Musées Nationaux. Conçu à partir du travail de DEA sur les Kulan du Binh Dinh d'Isabelle Riblet (cf Lettre de la SACHA n° 1 : 9 note 8).
2 J Boisselier 1963 : 276. Musée Guimet, cliché n° 32174/6 et 32174/4. Reproduit dans l'ouvrage japonais de Y. Shigeeda et S. Momoki, Champa Oukoku no iseki to bunnka, 1994:41, où l'ancien état de ce dosseret est comparé à l'état actuel.
3 Escalère, L. BEFEO, XXXV : 471. J Boisselier 1963, : 275-277 et fig. 187 a et b.
2. A propos de deux sculptures chames du Musée Guimet
Isabelle RIBLET1
Le Musée des Arts asiatiques Guimet conserve deux sculptures chermes de provenance inconnue acquises en 1895 lors de la vente aux enchères de la collection de Charles Lemire2. Apparemment elles proviendraient du même ensemble.
Un ascète est daté des XIIIe-XIVe siècles avec la mention « prolongement du style de Thap Mâm » (photographie 1). La même année le Musée royal d'ethnographie de Berlin fit l'acquisition d'une pièce tout à fait similaire (photographie 2). D'après le Dr H. Stđnner qui rédigea le catalogue des collections chames et khmères de ce Musée, il s'agit de l'un des deux Brahmâ trouvés à la tour de Thu Thiên par Ch. Lemire3. C'est en effet ainsi que ce dernier identifia ces œuvres dans son catalogue de vente au n° 171.
1. Ascète du Musée Guimet, XIIIeXIVe siècle (tirage D. Fayolle, Musée Guimet).
2. Ascète de Berlin (d'après Stönner, BCAI, 1912).
Il s'agit en réalité d'ascètes brahmaniques, fort probablement çivaïtes. Ces deux ascètes ont les mains jointes à angle droit sur la poitrine. Ils sont vêtus d'un sampot enroulé autour des cuisses et maintenu par une ceinture au pan arrondi. Sur leur tête, une mitre cylindro-conique arrondie sur le dessus présente un même décor de perlages à la base mais la coiffure de la pièce du Musée Guimet, plus érodée, ne permet pas de distinguer s'il y existait aussi un décor annelé comme il apparaît sur la pièce de Berlin. Ils portent tous deux un long collier et des bracelets de poignets et de bras, perlés. Aux oreilles sont suspendus des pendants circulaires. Leur menton se prolonge par une barbe en pointe. Les traits de leurs visages sont identiques et correspondent aux caractéristiques générales du style de Thap Mâm. Il en est de même pour le vêtement et la parure (J. Boisselier, 1963 : 257-260). La seconde sculpture, évoque peut-être un autre type d'ascète. Elle est dite de « style tardif » et représente un « personnage accroupi » (photographie 3). Selon H. Parmentier, il aurait été trouvé par Ch. Lemire avec les ascètes déjà évoqués, devant la porte de la tour de Thu Thiêu (Parmentier, Inventaire..., 2 : 184). Cette image est assise dans une position curieuse et un peu maladroite : les jambes sont pliées, genoux relevés sous les coudes, les pieds se joignant l'un sur l'autre dans l'axe du corps en prenant appui sur les talons. Les mains sont jointes du bout des doigts devant la poitrine. Le personnage ne porte pas de mitre, mais des cheveux plaqués comme par un serre-tête. Il est vêtu d'un sampot peu lisible et n'a comme parure qu'un long collier de grosses perles identiques, excepté la perle la plus basse qui est plus grosse et forme comme un pendentif. Détail particulier, une large bande descendant de son épaule gauche jusqu'à sa jambe pourrait être un lien l'aidant à se maintenir dans sa position d'ascèse. Aucun élément du costume ou de la parure n'est assez spécifique pour que l'on puisse le dater.
3. Ascète du Musée Guimet, style tardif (tirage D. Fayolle, Musée Guimet).
Les traits de son visage ne paraissent pas si éloignés des images du style de Thap Mâm malgré une certaine rudesse. Il est à remarquer que de nombreuses différences de détails sont à relever parmi les sculptures définies comme appartenant au style. De plus il ne faut pas oublier que selon leur degré hiérarchique, c'est-à-dire leur localisation dans le décor du temple, certaines images bénéficient d'un plus grand soin dans leur exécution que d'autres. Il faut souligner aussi que les artistes semblent s'octroyer une plus grande liberté dans les personnages secondaires que dans les statues de culte dont le canon est strictement établi.
Sculptés en haut relief sur un fond plat à découpe en « fer de lance » (MG 18063, fragmentaire, devait présenter les mêmes dispositions), ils constituaient sans doute les tympans de fausses-niches de la superstucture du kalan de Thu Thiên.
1 Titulaire d'un DEA sur les Kalan du Binh Dinh.
Écrit avec la collaboration de M. C. Duflos.
2 Ch. Lemire, Catalogue de la collection indochinoise de Charles Lemire conservée au Musée Guimet, et H. Parmentier, Inventaire..., 1 : 578.
3 Inv. MG 17830, haut. 0,42 m & MG 18063, haut. 0,39 rn. Cf H. Stđnner, n Catalogue des sculptures chames et khmères du Musée royal d'ethnographie de Berlin s>, Bulletin de la commission Archéologique de l'Indochine, 1912 : 195-198. Ch. Lemire, rc Aux monuments anciens des kiams », Le Tour du Monde, LXVIII, n° 29, déc. 1894 : 410 sq.
3. Deux sculptures récemment retrouvées au Binh Dinh Tran thi
Thuy DIEM1
En dehors des nombreuses oeuvres exposées au Musée de Sculpture chame de Dà Nang, au Musée historique d'Hô Chi Minh Ville, ou à celui de Binh Dinh, il en est encore d’autres récemment mis au jour ces derniéres années par les habitants decette dernière province. L'auteur se propose ici de présenter quelques-unes de ces trouvailles qui, semble-t-il, n’ont pas encore été exposées au public.
- Une statue d'ascète (?) inscrite
Cette statue semble être celle qui a été découverte au cours des premières années du siècle par H. Parmentier dans un pagodon vietnamien au pied de la colline de Phuoc Lôc (sur laquelle a été édifiée la tour Thôc Lôc).
H. Parmentier, dans son Inventaire de 1909 (p. 213-214), précise qu'elle a été trouvée au village de Dai Hu' u, sur un site particulièrement important et par ailleurs bouddhiste. Il l'avait fait transporter, ainsi que 9 autres pièces, à l'église catholique voisine. Dans le tome 2 de son inventaire, il en proposait un croquis, reproduit ici. (1918, fig. 108, p. 404).
Ascète çivaïte (d'après H. Parmentier).
Le site a été étudié par la suite par L. Finot et V. Goloubev au BEFEO en 1935, puis par Aurousseau en 1926, et certains de ses bronzes publiés par J. Boisselier en 1963.
D'une hauteur de 0,85 m et large de 0,55 m, la statue semble représenter un moine en contemplation. Actuellement, une simple paillote l'abrite. Les habitants de la localité (village de Chanh Mân, district de Phu Cat) la considèrent comme une divinité sacrée, et c'est pourquoi personne n'a osé la transporter chez soi. L'ascète est en méditation, assis en tailleur sur un rocher, le dos appuyé à ce roc, la main droite paume en l'air, tenant un rosaire du pouce de la main droite. Seul un des pieds apparaît. Il est coiffé d'une mitre cylindrique sur laquelle est gravé l'omkara (à l'avant Om namah Sivaya et à la face postérieure le mot Svasti d'après le Père Durand, dans l'Inventaire de 1909). Il est rare de trouver des statues inscrites. A son cou il semble porter un double collier. Sa coiffure et son bracelet de saignée sont ornés de bijoux analogues à ceux des danseurs de Trà Kiêu. Il porte aussi le cordon brahmanique.
Le dessus de l'habit du personnage comporte un pan qui lui revient en diagonale sur le ventre. Au dessous plusieurs étoffes se replient en de gracieuses courbes. De la ceinture part une pièce d'étoffe longue et arrondie aux motifs caractéristiques du style de Thap Mâm. Les yeux du personnage s'ouvrent grands sous des sourcils épais et joints. Son front se creuse d'un pli horizontal, mais son nez épaté est sérieusement ébréché. Ses lèvres sont épaisses et sa bouche légèrement souriante. La moustache lui recouvre les commissures des lèvres et ses oreilles à long pavillons sont pourvus d'anneaux qui tombent sur les épaules. Le fond de la statue est orné de motifs ondulatoires qui la classent parmi celles du style de Thap Mâm. Toutefois J. Boisselier en 1963 (p. 384-385) la considérait comme « une oeuvre de transition entre les styles de Yang Mum et de Po Romé » : le visage est du premier style, mais la forme du vêtement, et surtout l'apparition de la mitre cylindrique ainsi que la parure annoncent le second style. Il concluait que cette ronde-bosse possède une parure et des vêtements qui ne sont pas ceux d'un ascète, et pensait qu'il s'agissait peut-être d'un saint çivaïte. Il la datait enfin d'avant 1471. Ce qui est le plus frappant est peut-être la longue occupation du site où elle a été trouvée.
Ascète çivaïte (photographie de l'auteur).
- La statue de la déesse de la tour Thôc Lôc
I1semble que la plupart des nouvelles constructions religieuses chames au cours des XIIe et XIIIe siècles furent établies au sommet des collines, et en particulier la tour Thôc Lôc, bâtie sur celui de la plus haute d'entre elles : la colline Ph uoc Lôc. Les habitants des environs appellent encore cette tour la tour Phuoc Lôc ou Tour d'or, qui se voit de la route nationale n° 1, et se situe à la limite entre les districts de Phu Cat et d'An Nho'n de la province de Binh Dinh. Du sommet de cette tour on peut embrasser du regard toutes les autres. La statue de la déesse en question a été exhumée au pied de la tour Thôc Lôc en 1988, quand des habitants de la localité essayaient de déterrer des briques qui y avaient été enfouies. Il s'agit d'une oeuvre originale et rare dans la sculpture chame : une déesse à trois têtes et quatre bras. Elle est actuellement conservée dans un entrepôt du Département de la Culture du district de An Nho'n. La déesse est un bas-relief de grès de 0,80 m de haut et 0,50 de large, assise sur un lotus, jambe droite sur la gauche, à trois têtes et quatre bras, ce qui est rare dans la sculpture du Champa. Le visage de la tête principale est souriant et les deux bras dans l'attitude de la Mudrâ de la Sagesse suprême. La main supérieure droite tient un chapelet. Les mains des têtes secondaires sont trapues et grossières, ce qui contraste avec la souplesse du corps et les courbes harmonieuses de la statue. Ce dernier point rappelle une des caractéristiques de style de Trà Kiêu (Xe siècle).
La coiffure des trois têtes est conique à trois étages et est bordée des perlages de ce dernier style. Les pendants d'oreilles, descendants jusqu'aux épaules, ont la forme de bouton de lotus On retrouve ce motif de perlage aux autres éléments de la parure. Toutefois cette parure rappelle le buste de Kinnara du XIIe siècle de la salle de Thap Mâm du Musée de sculpture chame de Dà Nang (cote : 44.259 ; Le Musée de Sculpture Cam de Dà Nang, 1997: 155).
La déesse, le torse nu et les seins rebondis, la hanche étroite, effectue un pas de danse. Son vêtement rabattu sur la ceinture affecte une forme de fer à cheval. Le dessus de la languette est décoré de motifs « en ondulation de nuages », également caractéristique du style.
Déesse du kalan de Thôc Lôc (photographie de l'auteur).
Tout concourt donc à faire appartenir cette représentation de la déesse au début du style de Thap Mâm.
J'espère que cette brève étude amènera le Musée de Binh Dinh à prendre en considération cette statue et à lui accorder une place honorable dans sa salle d'exposition afin de la présenter au public.
1 Cadre au Musée de sculpture chame de Dà Nang.
Une oeuvre inédite
Musée régional de Dé Nang : Makara stylisé crachant un guerrier. Décor architectural, style de Thap Mâm, C. XIllesiècle (photographie C. Delachet).
4. Un tympan inédit au Musée de Qui Nho'n
Emmanuel GUILLON1
En consacrant une salle, bien présentée, aux vestiges chams retrouvés dans la région, le musée de Qui Nho'n a su renouer avec une ancienne tradition,..
Puisque, au début du siècle, il n'existait pas moins de trente sculptures et fragments entreposés, dans diverses résidences de ce port important, par les soins d'H. Parmentier, notamment en 1902. La plupart de ces oeuvres ont très tôt disparues, et leur relevé est resté sommaire. A cette collection s'ajoutait, pour la même province, l'important dépôt de la citadelle de Binh Dinh, qui regroupait une quarantaine de pièces, dont un certain nombre a rejoint par la suite le Musée de Dà Nang. Cependant un analyse de la trentaine de pièces de ce nouveau musée (connu aussi sous le nom de Musée du Binh Dinh), déposées là au cours des années 1980 et au début des années 1990, reste encore à faire. Si on excepte un petit gajasimha à double collier de grelots et un intéressant Dvârapâla en bas-relief, elles semblent toutes relever d'une variante du « style de Thap Mâm ».
On y a heureusement installé une grande inscription, jusque là inconnue, gravée de deux graphies différentes sur les trois faces d'une stèle, dont sept lignes ont été bûchées, et découverte sur le site Je Hu'ng Thanh en 1991. La pierre inscrite est ornée, à sa base, d'une frise Décorative, et, juste au dessus de l'inscription proprement dite, d'une série Je « motifs de Thap Mâm ». Le très petit nombre de textes épigraphiques retrouvés au Binh Dinh rend ce monument ',absent de l'Inventaire de Coedès) partimlièrement important.
[1 faut en outre signaler deux remarquantes fragments de frises déposés dans le jardin de ce musée, et provenant de [Iu'ng Thanh, dont l'un, « aux danseuses » :vogue l'art khmer Reproduit ici en :ouverture (et retrouvée en 1993), il semple infirmer une hypothèse de J. Boisselier (1963 : 275 & fig. 186), sur un rapprochement possible du traitement de ces danseuses avec la sculpture d'Angkor Vat.
Tout aussi remarquable est la trouvaille de deux grands tympans, de 1,20 m de haut chacun, de style et d'époque différents, redécouverts récemment dans la province. Celui qui nous intéresse ici a été justement retrouvé en 1988 au village de Binh Nghi, (district de Tay So'n) près du kalan de Thu Thiên2.
Parfaitement conservée, cette belle sculpture monumentale de grès jaune représente, semble-t-il, Mahisâsuramardini, la déesse Durgâ en « Destructrice de l'asura buffle » symbolisant l'énergie divine déployée contre un démon. Il est vrai qu'ici le buffle sur lequel danse la divinité évoquerait plutôt une double tête de makara, ce qui laisse subsister un léger doute sur son identification. Si la représentation de Mahisâsuramardini à dix bras n'est pas inconnue dans l'art du Champa - un fragment de tympan trouvé à My so'n E 4, et la « Bhagavati » de Po Nagar en témoignent - celle-ci est de loin désormais la plus belle de toutes.
Tympan de Thu Thiên (photo C. Delachet).
Divers éléments permettent de classer l'idole dans le style de Chan Lô : cambrure, flexion des jambes, seins proéminents, bras postérieurs joints au dessus de la tête, main inférieure gauche, sans attributs, reposant sur la hanche. Ses attributs sont clairement identifiables : crochet à éléphant, flèche, arc, cakra évidé, conque, courte massue. Or ces derniers, en particulier, sont identiques à ceux que brandit une divinité sur nagâ trouvée à Trà Kiêu (Catalogue du Musée de Sculpture Cam de Dà Nang, n° 123, p.143), qui, elle, date de la fin du Xe siècle. Tout ceci permettrait de dater notre tympan de l'extrême fin du Xe siècle, ou du tout début du XIe. La coiffure, elle aussi très proche de la divinité de Trà Kiêu (mais au diadème sans perlage), et le vêtement, (ceinture de torse à perlage, autres voiles souples et flottants sur les cuisses) confirment cette attribution. Mais la parure (bracelets hauts, colliers, pendants d'oreille) est plus fruste qu'aux piédestaux de Trà Kiêu, ainsi que le traitement d'un visage, plutôt carré, et dont le sourire intérieur est à peine esquissé.
La trouvaille de ce tympan près du kalan de Thu Thiên ne saurait donc être sous-estimée : elle confirme que le site était un lieu de culte important dès le début du XIe siècle.
Rappelons qu'un peu plus tard, en 1069, si l'on en croit le Viet-su-luoc, la flotte des Ly, forte de 200 jonques, débarquait à Thi Nai (l'ancien Qui Nho'n) et attaquait Vijaya.
1 Chercheur associé au CNRS.
2 A propos de ce kalan, signalons sa mention dans deux ouvrages récents : celui de J. C. Sharma, ancien ambassadeur de l'Inde au Vietnam, Temples of Champa in Vietnam, Ha Not 1992 : 92-93
& fig 71, 72, et celui de Tran Ky Phuong, Les Ruines cham, Ha Not The Gioi, 1993 : 53-54.