- Albert Sallet (1879-1948)
- Albert Sallet en Annam
- L'art de Trà Kiêu au Musée Georges Labit de Toulouse
Autour des piéces Chams du Musée Georges Labit de Toulouse
1. Albert Sallet (1879 - 1949)
Lydia et Jean-Pierre RAYNAUD1
Albert Sallet (1879 - 1948), médecin des troupes coloniales en Annam et conservateur des Musées Henri Parmentier à Tourane (Dà Nang) et Georges Labit à Toulouse.
Il a 20 ans en 1900 et, diplômé de l'École principale du Service de Santé de la Marine et des Colonies de Bordeaux, il s'embarque en 1903 pour l'Indochine. Il va y accomplir un destin riche d'expériences humaines, scientifiques et culturelles. Médecin au service des populations les plus démunies (les Cham du Sud-Annam), botaniste et ethnologue, il approfondissait ses expériences grâce à une maîtrise des langues populaires et littéraires de l'Annam. Correspondant de l'École française d'Extrême-Orient, il devient conservateur du Musée Cham de Tourane. A Toulouse enfin, chargé de la rénovation du Musée Georges Labit, il le modernise et en devient le conservateur. Ce sera son dernier ouvrage.
Nous pouvons suivre Albert Sallet dans un livre intitulé L'Annam, édité pour l'exposition coloniale de Paris en 1931 par l'Association des Amis du Vieux Hué, société savante dont il était membre fondateur et premier secrétaire dès l'origine, en 1913. Dans cet ouvrage, Albert Sallet a rédigé deux chapitres : dans Les richesses touristiques de l'Annam, en archéologue et historien il décrit notamment le cirque de My So'n et ses vestiges Cham : «À quel motif d'austère piété les Chams ont-ils obéi pour placer leur ville religieuse dans cette solitude qui semble pleine d'angoisse... dans l'étouffement des monts qui l'enserrent...? »
Dans L'Oeuvre de la France, l'assistance médicale, il décrit en homme de terrain « les tournées dans les villages jusqu'aux petits groupes de paillottes les plus éloignés, apportant la quinine, les vaccinations jenneriennes (variole) et anti- cholériques, l'émétine qui combat si efficacement la dysenterie et sa redoutable complication, l'abcès du foie, l'arsenic vainqueur du pian... »
L'oeuvre médicale du Dr Sallet a été analysée en 1949 par le professeur Pierre Huard, alors doyen de la Faculté de Médecine de l'Indochine, où il soulignait son apport original pour la connaissance de la médecine sino-vietnamienne, son histoire, sa matière médicale et les pratiques médicales. Mais un chapitre original n'est pas évoqué par l'éminent professeur : les pratiques magiques qu'A. Sallet a particulièrement étudiées. Il a pu ainsi ramener en France 600 dessins aquarelles de magie conjuratoire, et installer au Musée Georges Labit une salle ethnographique, aujourd'hui disparue, consacrée aux pratiques magiques Cham.
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Le jardin de Tourane U (carte postale de la collection Hoang/Pornédio).
Médecin major, il démissionne de l'armée en 1922 et se consacre alors aux activités culturelles et muséales. En 1926, alors qu'il était déjà membre correspondant de l'EFEO, il est nommé représentant de l'Ecole en Annam pour la surveillance et le contrôle de l'exportation des objets d'art indochinois, et conservateur du Musée de l'Indochine, section des antiquités Cham à Tourane. On a retrouvé une correspondance fournie avec Mme Gilberte de Coral-Rémusat, d'origine toulousaine, alors chargée de mission au Musée Guimet et spécialisée dans les arts de l'Inde et de l'Indochine. Elle a pu jouer un rôle de conseil, lorsqu'en 1931, A. Sal let décide de venir s'installer avec sa famille à Toulouse (mais son épouse décédera peu après).
La mairie de Toulouse sollicite son aide pour diriger la remise en état du Musée Georges Labit. Le bâtiment « laissé à l'abandon et ayant subi des dégradations considérables », suivant son propre bilan, devait aussi accueillir de nouvelles collections. C'est en 1936 que Mme de Coral-Rémusat choisit au Musée de Tourane, sur ordre de l'EFEO, cinq sculptures du Xe siècle originaires de Trà Kiêu. Il y avait là quatre chefs-d'œuvre de l'art Cham. L'année suivante, quelques belles pièces du Cambodge et de l'Inde vinrent enrichir le fonds.
En 1940 Philippe Stern, conservateur adjoint du musée Guimet se réfugie à Toulouse « pour échapper aux persécutions raciales ». Il associe ses efforts, ses connaissances et ses projets à ceux de A. Sallet. Le musée rénové, agrandi, est inauguré et ouvert au public en juin 1945. C'est un véritable succès de curiosité et d'intérêt dans la société toulousaine ; il est vrai que pendant toutes ces années le Dr Sallet avait brillé par ses conférences, leurs compte-rendus, et ses publications pour les Toulousains de Toulouse et Amis du Vieux Toulouse, la Société de Géographie de Toulouse, la Société Archéologique du Midi de la France, l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse. En 1946 sa santé s'altère ; il se retire auprès de sa soeur dans sa petite ville d'origine, La Souterraine, dans la Creuse, où il s'éteint en 1948.
Pour terminer ce survol relisons la lettre envoyée en 1948 par Philippe Stern et qui a été titrée Un français juif témoigne : « Je ne pourrai jamais assez dire ce qu'il a été pour moi [...] peu de personnes m'ont paru communier à ce point avec la douleur humaine... ».
En conclusion, nous n'avons pas suivi toutes les étapes d'une carrière. Cette vie a été celle d'un pionnier, d'un esprit curieux, toujours en éveil, homme de coeur apportant sa science médicale et sa participation à la recherche des vérités humaines les plus complexes et les plus mystérieuses accessibles dans l'Annam du début du siècle...
1 Administrateurs de l'Association des Amis du Musée Georges Labit et rédacteurs de la revue L'Olifant.
2. Albert Sallet en Annam
Isabelle PIGNON-POUJOL1
La sensibilité artistique du médecin-Major Albert Sallet le conduisit à s'intéresser à l'art Cham, et sa contribution dans la découverte et la préservation des vestiges de cet ancien royaume indianisé n'est pas négligeable. C'est d'ailleurs à ce titre qu'il fut nommé correspondant délégué de l'École française d'Extrême-Orient en 1919. Ses différentes affectations dans l'ancien pays Cham, à Hué, Faifo (actuelle Hoi An),Tourane (actuelle Dà Nang) et Phan Thiet lui permirent de mener à bien ses recherches. Les chroniques du Bulletin de l'EFEO se firent l'écho de ses trouvailles, c'est ainsi qu'il fit parvenir au Musée de l'EFEO à Hanoi un petit Bouddha méditant en bronze, un chaton de bague en pierre verte et de belles sculptures du site de Trà Kiêu. Il découvrit, à Chien Son, une inscription gravée sur un rocher au bord du Song Thu Bon. Enfouie sous une barre de sable qui fut balayée par une inondation, elle émergea lorsque les eaux baissèrent. Etudié par Louis Finot, ce texte s'avéra être la réplique de l'inscription de la stèle de Çambhuvarman de My So'n (Finot, BEFEO, III : 206) et de la charte de fondation du temple de Çambhuvarman mais il permit de compléter un nom mutilé dans les deux premières inscriptions, apportant ainsi un important renseignement topographique.
Le Dr Sallet s'installa quelques temps à Phan Thiet (Binh Thuan). Reprenant ses investigations, il signala, en 1924, dans le village de Thach Tôn (Phu Yên), la présence d'une base de colonne ouvragée et d'une statue de Çiva ainsi que celle des vestiges très ruinés de tours de briques dans le village de Yên Suong. Il accompagna Henri Parmentier, alors chef du service archéologique de l'EFEO, dans la reconnaissance de vestiges Cham et « pré khmers », et négocia avec les villageois une image de Visnu conservée dans la pagode de Tuy Hoa afin qu'elle puisse entrer au musée.
En juin 1926, il fut chargé de représenter l'EFEO en Annam pour la protection des monuments historiques et la délivrance des certificats de non-classement ; en août de cette même année il fut nommé, à titre provisoire, aux fonctions de conservateur du musée d'art Cham de Tourane. Il y fit entrer une petite sculpture çivaïte en grès et l'avant- bras gauche d'une statue dont la main tient un bouton de lotus, deux pièces retrouvées dans les bureaux d'une administration.
En 1929, A. Sallet signala plusieurs points archéologiques nouveaux autour du site de Huong Quê (Quê Son). C'est en 1931 que le Dr Sallet regagna la France, le Musée de Tourane fut alors confié à ses collaborateurs vietnamiens et à H. Peyssonnaux, conservateur du Musée Khai Dinh, qui en devint conservateur-adjoint.
1 Doctorante, titulaire d'un DEA sur le site de My So'n.
3. L'art de Trà Kiêu au Musée Georges Labit de Toulouse
Emmanuel GUILLON1
Dans une lettre adressée au Dr Sallet, J. Manikus2 annonçait le départ, le 23 août 1936, sur
le Cap Padarant, d'une caisse contenant cinq sculptures Cham destinées au Musée Labit, pièces qui avaient été sélectionnées sur place par Mme de Coral Remusat. L'auteur de la missive ajoutait toutefois qu'il n'avait pas pu donner le « petit tronc de danseuse qu'avait demandé la comtesse, parce qu'il fait partie de l'ensemble 22.5 de Trà kiêu ». Il s'agit en effet de l'ensemble peut-être le plus célèbre de toute la sculpture Cham, le piédestal « aux danseuses » de Trà Kiêu qui faillit ainsi orner les murs du Musée Georges Labit de Toulouse...
De ces cinq sculptures - un éléphant, un lion dressé, une tête de Dvârapâla, une tête de lion (?), et un orant - les quatre premières provenaient du dépôt de Tourane, la cinquième de celui de M. Gravelle. Elles étaient toutes munies du certificat de non-classement, et venaient toutes, semble-t-il, des fouilles de Trà Kiêu, formant donc ce qui paraissait un ensemble cohérent. Beaucoup plus tard le Musée Guimet de Paris compléta cette série en confiant en dépôt au Musée Georges Labit, le 11 mai 1970, une sculpture représentant un danseur, de même provenance. Nous devons ces renseignements et les photos qui suivent à l'obligeance de Marie- Dominique Labails, conservateur- adjoint des Musées Georges Labit et Paul Dupuy de Toulouse, ainsi qu'aux recherches de Jean-Pierre Raynaud. Nous les en remercions vivement.
Ces oeuvres ont déjà été publiées, analysées, ou évoquées, au moins trois fois : par Jeanne C. Guillevic, alors conservateur, en 1981 (?), dans un ouvrage publié parla ville de Toulouse sous le titre Musée Georges Labit (Arts d'Asie) (tome 1) ; par Mlle Labails, en 1994, à l'occasion du centenaire du musée, dans le catalogue d'exposition intitulé La collection japonaise de, Georges Labit ; et par Violette Fris-Larrouy, dans le chapitre Asie du Sud-Est du n° 3 des beaux Cahiers du Musée Georges Labit, édité par le Musée, à Toulouse également, en novembre 1997.
Les pièces Cham du Musée Labit de Toulouse semblent donc avoir été mises au jour près des restes d'une muraille, à Trà Kiêu, par J. Y. Claeys, en juin 1927 (BEFEO, XXVII, 1927 : 471-473). En fait pratiquement chacune de ces oeuvres fait problème, à un titre ou à un autre.
1
Chercheur associé au CNRS.
2 Lettre manuscrite datée de Tourane le 27 août 1936.
Photos : J. Dieuzaide, 1971, Toulouse, sauf tête : J. P. Raynaud
Article de "La Lettre de la SACHA" n°2, décembre 1997, pages 3 à 11.
C'est dans la très belle revue toulousaine Itinéraire des Arts (Midi-Pyrénées), numéro de décembre 97 - mai 98 (éditée par les Editions ARTSUD, 20 av. Honoré Serres, 31000 Toulouse), que Lydia et Jean-Pierre Raynaud présentent à leur tour les pièces chames du Musée Georges Labt, sous le titre "Indochine, X°-XII° siècle : quatre chefs-d'oeuvres de sculpture chame à Toulouse et un à Paris" (p.40-43).
Article de "La Lettre de la SACHA" n°3, juin 1998, page 9.