The Hijab of Cambodia, présentation du livre par son auteur, Farina So.
23 décembre 2011
“The Hijab of Cambodia” analyse les récits que font les femmes musulmanes Cham de leurs expériences vécues sous le régime Khmer Rouge (1975-1979). L’étude s’appuye sur le constat que les femmes musulmanes ont subi des épreuves différentes de celles des hommes, principalement en raison de leur sexe. Par ailleurs, la particularité ethnique et la foi islamique des femmes Cham ont également pesé sur leurs épreuves. Leurs expériences sont analysées en fonction de (1) la structure du récit et son
interprétation, et (2) de la thématique des faits qu’elles ont vécus pendant le régime KR. Alors que le premier point étudie la manière dont ces femmes racontent leur histoire, le second se concentre sur les violences KR commises sur ces femmes et comment elles
ont su résister au système. Ces éléments se recoupent au sein de chaque discussion thématique. Dans leur tentative de transformer le Cambodge en une société agraire, les KR ont provoqué des changements profonds et sans précédent dans la vie des
femmes. Bien que leur “intention” d’exterminer ce groupe ethnique n’ait pas été explicitement formulée dans leurs directives, la manière dont les KR l’ont traité dans le secteur est, entre 1977 et 1978, montre qu’ils ont commis un génocide contre cette minorité.
Les récits qu’elles font des évènements et de leurs épreuves sont discutés mais, dans l’ensemble, ils sont cohérents. Il est possible de dresser plusieurs parallèles entre les différents interviews. Les femmes musulmanes Cham ont cédé aux KR pour survivre mais certaines ont résisté avec l’idée de maintenir leur intégrité religieuse et ethnique. Les expériences personnelles de séparation, de défaite et de souffrance qu’elles rapportent, nous renseignent sur les méthodes employées contre les musulmans Cham1 et les autres personnes.
Le livre rassemble soixante interviews de femmes musulmanes Cham vivant au Cambodge. Il se divise en cinq chapitres dont les thèmes se rapportent aux expériences et aux moments décisifs de la vie des femmes Cham pendant le régime Khmer Rouge. Le Premier Chapitre rappelle le moment capital durant lequel les KR ont imposé l’évacuation de Phnom Pehn et des autres villes du pays. Le voyage épuisant et l’installation dans des environnements différents ont totalement boulversé la vie des femmes Cham. Sont présentées dans ce chapitre l’organisation des déplacements, la confusion permanente, la nécessité de cacher son identité, la peur, l’inquiétude, les autres épreuves qu’elles ont rencontrées. Le deuxième chapitre étudie les transformations dans la vie familiale et la maternité provoquées par la rhétorique et les méthodes KR. La politique KR se fondait sur la collectivisation mise en pratique au
travail, au domicile et pendant les repas. De plus, la liberté de communication et les relations entre les hommes et les femmes étaient très contrôlées. Sont présentés dans ce chapitre les changements relationnels entre les sexes, la rupture de la structure familiale Cham traditionnelle, l’imposition d’un mode de vie collectif (y compris la nourriture non-hallal), la rareté de la nourriture, les travaux épuisants, les efforts des femmes pour préserver la famille Cham. Le troisième chapitre étudie la manière dont les KR ont traité les pratiques islamiques et l’identité ethnique Cham, les conséquences sur les femmes et les réactions des femmes. La religion étant interdite, ses manifestations étaient donc réprimées et condamnées. Ce chapitre montre comment, malgré d’immenses souffrances, les femmes musulmanes Cham ont défendu leur religion et leur culture. Elles ont non seulement réagi pour assurer leur survie mais aussi pour protéger les valeurs de l’Islam et celles des Cham. Le quatrième chapitre analyse les récits d’emprisonnement et de violences sexuelles subies par les femmes. Les KR ont instauré de lois sociales visant à restreindre les relations entre les hommes et les femmes et pour protéger les femmes. En réalité, les femmes furent plus souvent condamnées que les hommes sous ce régime, parce que leur dépositions n’étaient pas prises en compte, en particulier dans le cas de harcèlement sexuel exercé par un cadre KR. L’emprisonnement, la torture et la violence sexuelle qui s’en suivaient ont marqué ces femmes avec des blessures physiques et morales difficiles à oublier.
La conclusion résume les principaux résultats de l’étude et démontre l’importance de l’histoire orale, de la mémoire, des récits et de l’opinion des femmes musulmanes Cham sur les crimes KR. Malgré ses limites, l’histoire orale reste très utile pour découvrir
l’expériences de femmes appartenant à une minorité qui a beaucoup souffert. Les histoires tragiques qu’elles ont racontées avec des larmes et beaucoup de difficulté donnent néammoins de l’espoir.
Cette étude a bouleversé les femmes interrogées; en tant que chercheur, elle m’a aussi marquée. Appartenant à la génération qui a grandi au Cambodge après le régime Khmer Rouge, mon émotion ne suffit pas pour comprendre toute la souffrance des personnes qui ont affronté ce régime. En interviewant ces femmes courageuses, en analysant la transcription des enregistrements, et en rédigeant cette étude, j’étais totalement consciente qu’il était difficile de me replacer dans leurs récits. Bien que ressentant pour elles une immense empathie et m’efforçant de comprendre leur point de vue, j’admettais cependant ne pas pouvoir ressentir ce qu’elles avaient vécu. La folie des épreuves inhumaines et brutales que ces femmes avaient endurée contrariait mon empathie. Cependant, après avoir été témoin de leur courage et de leur honnêteté, je me sens plus forte. Je suis déterminée à empêcher que de telles atrocités se répètent et à faire d’autres recherches sur des sujets se rapportant aux femmes musulmanes Cham et aux femmes en général.
Un autre livre, “The Cham Rebellion” de Ysa Osman présente des récits originaux des Musulmans Cham des villages de Svay Khleang and Koh Pal qui se sont rebellés contre la politique cruelle des Khmers Rouges à la fin de 1975. Dans leur mouvement,
les villageois revendiquaient la liberté de culte et de travail. L’ensemble des récits ont été faits par les habitants du district de Kro Chhmar, qui s’étend le long du Mékong dans la province de Kampong Cham. Ce district faisait partie de la “Région 21” de la Zone
Est pendant la période du Kampuchea Démocratique. En 1973, les Khmers Rouges tenaient fermement tous les villages de ce district. Selon M. Ysa, c’est une accumulation de protestations et d’hostilité contre les KR qui a provoqué ce mouvement de résistance. Les KR interdisaient les pratiques religieuses et ont exterminé de nombreux chefs religieux musulmans et les anciens des villages. Les rebelles, tous des hommes, se sont confrontés physiquement avec les milices KR. Les rebelles furent nombreux à périr pendant ces combats et ceux supposés être directement impliqués ont été arrêtés et déportés au camp de sécurité de Kroch Chhmar. Leurs femmes comme les autres villageois ont été déportés vers d’autres camps où ils étaient exposés à la malaria et d’autres maladies.
A la fin du régime du Kampuchea Démocratique, en 1979, le peu de Cham qui avait survécu était retourné à Svay Khleang et Koh Phal. Une génération plus tard, la population de Svay Khleang s’élevait à 2,000 habitants mais celle de Koh Phal ne dépassait pas 10 à 20 personnes. Les forts courants du Mékong emportaient chaque année la terre du village; actuellement, il n’en reste plus rien ou presque.
Ces deux livres sont disponibles à DC-Cam et Monuments Books Center in Phnom Penh. “The Hijab of Cambodia” existe en khmer et en anglais. Cent exemplaires de “The Hijab of Cambodia” en khmer ont été distribués aux étudiants, professeurs, aux responsables d’associations, et aux fonctionnaires du gouvernement.
1 “Musulman Cham” ici se rapporte aux communautés Cham et Chvea; toutes deux pratiquent le sunnisme mais les Chvea ne parlent pas le Cham. Parmi les Cham, les Cham Jahed forment un petit groupe connu pour son attachement aux traditions et aux coutumes Cham. La population des musulmans Cham au Cambodge est dispersée en plusieurs communautés et représente environ 700, 000 personnes sur une population totale de 14 millions.